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Lieu habité le plus isolé de la planète, l’île de Pâques est une dépendance géographique et politique du Chili qui suscite curiosité et fascination chez les voyageurs du monde entier. C’est là-bas qu’est parti Ludovic, un grand voyageur qui compte plus de 100 pays à son actif. Avec une curiosité et une sympathie qui lui sont propres, il est allé à la rencontre des habitants de l’île. Ensemble, ils ont tenté de percer le mystère qui entoure cette terre légendaire et ses drôles d’occupants en pierre qui, tournés vers l’horizon, veillent d’un oeil bienveillant tous les voyageurs qui osent s’aventurer jusqu’ici.
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Célèbre par la présence des moaïs, ces statues monumentales sculptées en un seul bloc dans des roches volcaniques insulaires, l’île de Pâques est une île emplie de mystères aussi bien sur ses origines que sur la conception de ses monolithes. Découverte en avril 1722 par l’explorateur Jakob Roggeveen, l’île de Pâques est surnommée ainsi de par la fête qui était célébré ce jour-ci. Rattachée au Chili en septembre 1888, l’île s’appelle officiellement Rapa Nui depuis la publication en 2016 d’un décret du Parlement chilien souhaitant restaurer la mémoire des premiers habitants qui y ont vécu.
Après 5 heures de volje foule enfin le sol de cette petite île inscrite depuis 1995 au patrimoine mondial de l’Unesco. En posant les pieds sur le tarmac, je découvre outre des sculptures ornant le sol de l’aéroport, le drapeau chilien qui flotte fièrement, balayé par une brise forte. Bénéficiant d’un climat subtropical humide avec des températures entre 20 et 25 degrés et 250 jours de pluie à l’année, l’île, est soumise aux aléas d’une nature qui ne se gêne pas pour y déverser son impétuosité. Je rejoins mon hôtel afin d’y déposer mes bagages et récupère ma voiture de location, pour ne pas perdre de temps et commencer à découvrir les merveilles de l’île. Je me dirige à Hanga Roa, sa capitale. Le vent souffle fortement. En contrebas, des rochers acérés, taillés séculairement par des vagues violentes qui dessinent les contours d’une île à la serpe. Et pourtant, paradoxalement, au milieu des éléments tonitruants, je me sens bien.
Une sensation étrange m’habite. Je viens de vivre un rêve en foulant de mes pieds cette terre qui m’a tant attiré et je prends conscience de l’atmosphère particulière qui hante les lieux. Peut-être s’agit-il de ce moaï esseulé qui me fait face et dont je viens de remarquer la présence. Étrange, il ne me semblait pas qu’il y en avait un à cet emplacement. Je m’approche de cet être imposant et je suis obligé de lever les yeux vers le ciel pour en admirer le visage. Son regard tourné vers le centre de l’île est austère, mais oblige au respect. Ses yeux ont été peints afin de correspondre à ceux des moaïs d’antan à qui les aïeuls substituaient aux peintures oculaires, des coquillages et du corail blanc tout en coiffant leur tête, d’un pukao, une coiffe traditionnelle constituée de plusieurs roches volcaniques empilées les unes sur les autres. Perdu dans mes pensées, j’imagine les anciens habitants de l’île se prosterner face à ces géants à qui ils adressaient leurs prières les plus secrètes : « Me gustaria un nino (Je voudrais un enfant) ; Hacer buena pesca (Fais que la pêche soit bonne)…
En m’attablant à un restaurant pour déjeuner, je raconte mon sentiment face à ce géant, au serveur qui prend ma commande. Avec le sourire et dans un français correct teinté d’une pointe d’accent, il me confirme que les moaïs ont un pouvoir attractif indéniable.
– J’ai lu que nombre de locaux croyaient en une construction des moaïs par les extraterrestres. Qu’en pensez-vous ?
– Vous savez, me dit-il, l’île de Pâques est mystérieuse même pour les scientifiques, même pour nous.
– Juste une petite parenthèse. Vous parlez bien français, je suis surpris.
– Ici, beaucoup de Français habitent. En plus, si nous n’en savons pas beaucoup sur nos origines, nous sommes sûrs que nos ancêtres proviennent de la petite Rapa, une petite île de la Polynésie française. Alors, le français est un peu pour nous une deuxième langue. Mais pour en revenir à ces mystères, nous avons appris à vivre avec. Nous ne savons pas qui nous avons été, mais par contre nous savons qui nous sommes.
– C’est l’essentiel, lui dis-je en commençant mon plat.
En longeant le front de mer, je me dirige vers Ahu Tahai, l’un des sites les plus intéressants de l’île de Pâques, juste à côté de la ville d’Hanga Roa. Je découvre là un site étendu qui comprend de nombreux moaïs, disséminés en plusieurs regroupements, dont un ensemble de cinq monolithes de tailles différentes, avec pour seuls habits, la nudité de leurs corps, sans artifice ni ambages. Je m’assois face à eux et plonge mes yeux dans les leur, une sorte de bataille de regard que je vais perdre à coup sûr. Je regarde fixement ces visages inamovibles et ne baisse pas les yeux, plongé dans les tréfonds d’une âme que je peux ressentir, un peu comme si ces statues de basalte étaient vivantes. Lorsque je fixe leur regard, je me sens comme envoûté, piégé dans une pensée qui matérialise en moi des successions de tranches de vie d’antan.
Défilent alors sans discontinuité devant moi les bribes d’un passé dont je parviens à reconstituer la chronologie. Je peux vivre l’arrivée des premiers colons polynésiens vers 1200, sous les ordres de Haumaka ; leur installation ; leur développement. Je peux les imaginer tailler ces sculptures géantes dans la réserve de pierres de Rano Raraku, ressentir leurs cris de rage et de douleurs physiques lorsqu’ils les transportent sur plusieurs centaines de mètres et encore plus lorsqu’à l’aide de cordes, ils tentent de les redresser. Je peux ressentir la joie de Jakob Roggeveen en 1722 lorsqu’il fût le premier européen à fouler l’île de ses pieds et la haine des colonisateurs péruviens qui, 30 ans plus tard, réduisirent la population à une centaine de personnes tout au plus. J’assiste au changement de croyance de l’île ainsi que’à son repeuplement grâce aux missionnaires européens et à leurs ouvriers agricoles polynésiens. J’assiste enfin à la diversification de l’île lors de son rattachement au Chili en septembre 1888. Je peux ressentir le soulagement de la population locale, lorsque la signature du traité fut synonyme de protection face à d’éventuels envahisseurs, les : « Hourras » de la foule, les : « Bienvenida ». Leur déception également, lorsqu’ils furent parqués par les nouvelles autorités dans la ville d’Hanga Roa, pour qu’une société lainière exploite le territoire sans restriction… pour finalement retrouver une certaine forme d’autonomie seulement en 1966, date à laquelle ils firent entendre leur voix pour obtenir leur liberté.
Le soleil commençant à se coucher, le ciel s’illumine d’un rouge flamboyant. Je crois comprendre l’histoire mystérieuse de l’île, mais en réalité, je ne sais rien. Il me faut plonger dans les coutumes locales pour en apprendre un peu plus sur ces moaïs qui laissent tant de questions sans réponse. Avant de quitter le site, je me dirige vers un vendeur qui a installé des planches de bois sur deux tréteaux afin d’y exposer les objets artisanaux qu’il vend. Le vendeur, qui m’accueille avec une sorte de rame à deux palettes dans les mains possède un look particulier. De longs dreadlocks sur la tête et sa longue barbe blanchie par les années met en évidence le teint mat de sa peau. Sa bonhomie naturelle lui confère un charisme évident.
– Vous êtes natif de l’île, lui dis-je.
– Oui, depuis 30 générations me répond-il en Espagnol.
– Vous avez de la chance de pouvoir admirer ce spectacle tous les jours.
– Ce sont nos protecteurs.
– Et comment ont-ils été construits ?
– Vous savez, tout dépend de la croyance. Si on se borne d’un point de vue scientifique, les avis divergent. Certains diront que les nombreux arbres présents sur l’île à l’époque ont été taillés en rondins qui ont servi à les transporter aux différents emplacements de l’île. Ils ont été extraits à Rano Raraku, la réserve de l’île. Nous en sommes sûrs !Certaines expériences ont été réalisées par des archéologues sur des gros blocs qui sont parvenus à les recréer : d’abord leur tête, puis en creusant le sol pour finaliser leurs corps…sans jamais n’avoir aucune certitude.
– Et vous, qu’en pensez-vous ? Pour redresser les chapeaux de plusieurs centaines de kilos par exemple ?
– Attacher les chapeaux à la statue sur le sol… il suffisait de gagner degré après degré le redressement du tout. C’est possible. Mais…toujours pas de certitude. C’est ce qui fait notre attrait, ce mystère toujours dans l’air. On pense savoir, mais à la manière des pyramides d’Egypte… pas de certitude.Après, nous ne sommes pas à l’abri d’un événement surnaturel. Les moaïs se sont peut-être redressés seuls…termine-t-il dans un sourire narquois.
Je rejoins le deuxième jour, le site d’Anakena, qui comprend l’une des seules plages de sable blanc de l’île, ainsi qu’un ensemble de sept moaïs. Tous sont de tailles différentes mais ils possèdent la particularité d’avoir le regard tourné vers l’océan tandis que les autres moaïs de l’île ont le regard dirigé vers le cœur de l’île. Alors que j’arpente le front de mer, je suis rejoint par Annie, une native de l’île qui parle couramment le français et souhaite me présenter les peintures qu’elle expose à l’entrée du site.
Sur le chemin, je la questionne sur son ressenti quant à l’origine des moaïs. Elle se lance alors dans un long monologue me racontant la croyance originelle des Rapanui, croyance qui se transmet de génération en génération. Le ton de son : « Je vais vous révéler un secret » est intriguant, voire solennel. Selon elle :
« Il y a près de 1000 ans, (astralement), Haumaka un ancien roi polynésien a découvert l’existence de Rapa Nui, alors qu’il se trouvait en Polynésie française. Il explique cette trouvaille par un esprit qu’il ne pouvait pas désigner afin de préserver sa population des cataclysmes qui frappaient les îles polynésiennes dans lesquelles elle vivait. Il décide alors de conduire son peuple en pirogue vers cette terre nouvelle.Avant de lui faire traverser la haute mer qui séparait la Polynésie de Rapa Nui, Haumaka chargea sept explorateurs d’effectuer le trajet pour ouvrir la voie. Ces sept explorateurs ne revinrent jamais et c’est finalement le neveu de Haumaka (Hotu Matu’a) qui guida son peuple vers cette terre promise. Lorsqu’ils arrivèrent sur place, ils trouvèrent non pas les 7 explorateurs, mais 7 moaïs disséminés sur l’île. Le peuple s’y installa et commença la colonisation de cette nouvelle terre jusqu’au jour où, Hotu Matu’a soit visité dans son sommeil par des extraterrestres. Ils demandèrent au peuple de les honorer en construisant ces fameuses statues géantes…jusqu’à ce que nos ancêtres changent de croyance pour vénérer l’homme oiseau, puis deviennent catholiques »
Je suis stupéfait par la révélation de ces croyances qui se transmettent de manière orale dans les familles de l’île. Annie continue ensuite :
« Je vais écrire cette histoire, car les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent plus ces traditions du peuple Rapa nui.Il faut en laisser une trace dans notre histoire. Aujourd’hui, ils vont à l’école sur le continent et ils reviennent ensuite pour travailler pour les touristes. C’est un problème, car notre île change, les mentalités changent. Les gens ont goûté à l’argent et ils en veulent toujours plus. Quand j’étais petite, nous mangions beaucoup de poissons, aujourd’hui, les familles veulent des produits importés. Et pour se les payer, ils doivent travailler. C’est un cycle sans fin et peut-être le plus grand danger auquel nous devons faire face. »
Pour cette raison, les autorités chiliennes ont prévu que depuis le 1er août 2018, les étrangers, au même titre que les Chiliens du continent, seront autorisés à rester un maximum de 30 jours sur place. De plus, pour pouvoir accéder à l’île, ils devront présenter, au comptoir d’enregistrement de la compagnie national LATAM Airlines -la seule compagnie autorisée à se poser sur l’île – un billet retour, un formulaire spécial rempli et une attestation de réservation d’hôtel ou la carte d’invitation d’un résident. Les agences de voyage s’occupent généralement pour leurs clients de toutes ces formalités. Annie me conseille le lendemain de me rendre à la réserve Rano Raraku, dans le centre de l’île afin de découvrir la réserve de fabrication des moaïs. Juste avant que je parte, elle m’arrête.
« Après, vous devez savoir que l’emplacement actuel des différents moaïs et leur regroupement est relativement récent. Les moaïs ont été redressés et regroupés en différents sites emblématiques de l’île par le gouvernement chilien pour développer le tourisme sur le territoire. Mais ce n’est pas parce que la main de l’homme oriente votre vue que vous devez regarder le doigt qui vous guide. »
Au cœur de Rano Raraku, des dizaines de moaïs sont enfoncés jusqu’au cou dans le sol de la montagne sacrée d’où ils furent taillés. J’arpente ainsi un petit chemin qui serpente autour des statues me faisant penser à une longue partition de musique où les percussions sont jouées par le vent qui vient frapper les flancs de cette étendue vallonnée. J’admire dans un silence quasi religieux chacune de ces statues qui se dévoilent sans artifice. En approchant du cœur de la carrière, j’aperçois sur le sol plusieurs statues taillées partiellement, un peu comme si un événement soudain avait interrompu pour l’éternité la tâche de ces ouvriers d’antan.
Le site étant protégé, je fais connaissance avec un des gardes du site qui s’exprime en espagnol. Il se nomme Pedro et travaille à la sécurisation de ces lieux en rabrouant les touristes qui s’amusent à toucher les statues.
– Que s’est-il passé ici ? Le site me fait penser à Pompéi, les cendres en moins.
– C’est un peu différent ici, mais je comprends le rapprochement. Vous savez, nous pensons ici que les anciens connaissaient des problèmes depuis des années. L’agriculture intensive qui avait détruit les sols, la destruction des forêts pour en récupérer les rondins de bois, la faim, les luttes de pouvoir. La société Rapa Nui se portait mal. Je pense que ce sont tous ces facteurs qui ont changé la foi des habitants, qui progressivement se sont détachés des croyances des moaïs pour les remplacer par le culte de l’homme-oiseau ou appelé Tangata manu en langue locale.
– Le Tangata manu ?
– Oui, c’est un culte qui a remplacé les croyances en les moaïs dans le but d’arbitrer les conflits entre les clans. Il consistait pour les hommes de montrer leur courage en plongeant depuis la falaises d’Orongo puis nager à l’aide d’une gerbe de totora jusqu’à l’îlot rocheux inhabité de Motu Nui que l’on peut voir dans la mer, de s’y poster et attendre la ponte du premier œuf de la saison de sterne Manutara, le recueillir, nager à nouveau vers l’île et gravir la falaise de Rano Kau pour le ramener à l’Ariki Nui, le grand roi.
– Et ce culte s’est terminé quand ?
– En 1866, lorsque les missionnaires ont converti nos aînés au christianisme.
Alors qu’au croisement des discussions, j’ai l’impression d’être un enquêteur de l’histoire, les bribes du passé de l’île émergent, même si j’ai cette vague impression que le mystère omniprésent l’entourant ne cessera jamais de m’accompagner. Mais j’y vois plus clair et c’est éclairé par ces nouvelles connaissances que je rejoins en contrebas de Rano Raraku, le site de Tongariki, un site comprenant 15 moaïs qui se dressent fièrement le dos tourné à l’océan et le regard fuyant vers la montagne sacrée.
Aux pieds des moaïs, je m’incline instinctivement afin de montrer à ces géants séculaires le respect que je leur porte. Ils ont su traverser le temps et je profite du reste de la journée pour les admirer, afin de graver dans chaque parcelle de ma mémoire, cette chaleur rassurante qu’ils imposent.
Je passe mes derniers jours à arpenter l’île et à découvrir ses trésors : la pierre magnétique qui affole toutes les boussoles, le volcan Rano Kau, les grottes de lave, les tunnels et tant d’autres. Je profite pleinement de la découverte de cette terre qui m’a tant fascinée et qui a fait de mon voyage une plongée dans les méandres d’une rationalité que je n’avais jamais si souvent mise en doute. C’est un peu la force de l’île de Pâques que de faire voyager le visiteur non pas au travers uniquement de la découverte de ses trésors, mais dans les tréfonds de son âme, là où le surnaturel prend le relais du rationnel dans une ode à l’existence imperceptible mais au combien prenante. Un véritable voyage où le mystère est un passager fort encombrant mais dont il ne saurait être question de se passer.
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