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Bastien est un amoureux inconditionnel de l’Amérique du Sud. D’abord la Colombie puis le Pérou, il a parcouru, sac au doc, les plus beaux paysages de ce sous-continent. Pour bynativ, il revient sur son expérience à bord d’une embarcation sommaire sur le fleuve Huyabamba dans l’Amazonie péruvienne. Laissez-vous bercer par le clapotis de l’eau et le rythme lent du bateau …
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Dans ces contreforts des Andes péruviennes menant à la plaine amazonienne, le Parc National Rio Abiseo et sa forêt tropicale humide attirait depuis quelques temps mon attention. Pour y aller, on m’avait recommandé de remonter le cours du fleuve Huayabamba depuis la ville de Juanjui, dans la province de San Martin. J’avais notamment une idée en tête : atteindre la cascade du Breo, située au cœur de cette réserve naturelle très isolée et dont une seule photo avait suffi à nourrir mon imaginaire d’explorateur amateur.
Quelques jours après avoir pris contact avec un amigo de un amigo, natif de la région, je me retrouvais en sa compagnie et celle d’une dizaine d’autres péruviens sur une étroite et longue embarcation à moteur naviguant sur le Huayabamba. Entourés d’énormes sacs de riz, de packs de bouteilles de soda, de briques et autres amas de matériaux de construction, nous nous enfonçons alors au cœur de paysages de collines à la végétation exubérante. Le bateau que nous empruntons sert de liaison entre la ville de Juanjui et les différentes petites communautés implantées en amont du fleuve. Leurs habitants utilisent cette navette collective pour se réapprovisionner en ville de tout ce qu’ils ne peuvent pas produire eux-mêmes. De fait, sa capacité de charge est mise à l’épreuve face à leurs désirs de rentabiliser ces longues heures de navigations payées au prix fort.
Sous la bâche plastique transparente qui nous protège comme il se peut d’une averse tropicale qui fait rage, mon compagnon de route me raconte les grandes transformations à l’œuvre dans la région. Les années 80 ont en effet été marquées par la violence liée au trafic de la coca et aux actions du groupe armé du Sentier Lumineux, d’inspiration maoïste. Durant cette période, l’activité agricole dans la vallée était presque exclusivement dédiée à la culture de la coca dont les parcelles grignotaient chaque jour un peu plus la végétation tropicale. La demande des cartels colombiens était d’ailleurs si forte que leurs avions ne cessaient d’atterrir et de décoller sur des pistes construites à la hâte au milieu de la forêt. De cette époque, il est resté quelques expressions typiquement colombiennes que l’on retrouve encore aujourd’hui dans le langage courant.
Mais les temps ont changé. Des opérations gouvernementales d’envergure ont mené à la chute des cartels et à l’éradication de toutes les cultures de coca sur les rives du Huayabamba. Les paysans se sont alors reconvertis vers d’autres productions agricoles comme la canne à sucre, la banane, et surtout le cacao. Peu à peu, les habitants qui avaient fui ce contexte local anxiogène ont repeuplé cette vallée abritant parmi les meilleures espèces de cacaotier de la planète. C’est notamment le cas dans la petite communauté où nous venons de débarquer et où nous passerons la nuit. Les membres de la coopérative locale nous font la visite des plantations et des installations servant à la transformation des cabosses, le fruit du cacaotier, en une pâte de cacao au doux arôme amer. Un halo de sérénité semble recouvrir ce petit village perdu de la jungle péruvienne. Une femme nous explique avec enthousiasme comment les techniques d’agro foresterie utilisées et une fine sélection des espèces de cacaotiers ont fait la très grande réputation de leur cacao certifié biologique. Parallèlement, cela a permis d’améliorer aussi bien les revenus des membres de la coopérative, en vendant leur cacao à un meilleur prix, que la diversité des écosystèmes, autrefois en recul face à la monoculture de la coca.
Alors qu’à terre les poules jactent en liberté et qu’en l’air des colibris volent frénétiquement attirés par le rouge vif des heliconias, c’est bientôt une partie de pêche qui s’improvise. La technique est simple et infaillible. À quelques mètres de la rive, un homme immergé jusqu’au torse tient le bout d’un large filet qu’un autre homme étire en travers du fleuve embarqué sur une pirogue. L’attente ne dure pas plus de deux minutes avant que les deux pêcheurs ne décident de refermer le filet et ainsi piéger un paiche, cet énorme et délicieux poisson du bassin amazonien, que nous partageons tous ensemble pour le dîner. Après une courte nuit et alors même que les premiers rayons du soleil peinent à percer la canopée, notre expédition reprend son cours sur le Huayabamba. Nous dépassons un peu plus tard un poste de contrôle en saluant les deux gardes forestiers qui y vivent en quasi autarcie. Nous voilà désormais à l’intérieur du Parc National Rio Abiseo. Le fleuve se rétrécit alors progressivement en une rivière encastrée au milieu de falaises dont émane une atmosphère presque onirique. Sur chaque paroi, de l’eau chute sur les plantes grimpantes en une nébulosité de gouttelettes seulement perturbées par des papillons aux couleurs éclatantes. L’émerveillement est total !
Poursuivant notre navigation avec le moteur du bateau à son plus faible régime, nous apercevons bientôt au loin comme une cascade traversant ce qui semble être un pont de pierre naturel. Nous nous en approchons et accostons sur une petite plage de sable brun. Puis, après quelques pas dans la forêt, nous nous retrouvons au pied de cette chute d’eau perçant littéralement un promontoire rocheux. Je reconnais là la fameuse cascade du Breo. Celle que j’avais pu apercevoir sur une photo quelques semaines auparavant.
Trempé par la bruine et le sourire aux lèvres, je reste planté de longues secondes devant ce spectacle naturel presque irréel.
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